Mini-Chroniques littéraires

Voici quelques « Mini-chroniques » à propos des polars et romans d’ami(e)s écrivain(e)s publiées entre 2015 et 2020 sur Facebook…

CHRISTINE ADAMO • WEB MORTEM

Entre réel et virtuel, un #cyberthriller terrifiant qu’on ne lâcherait pour rien au monde !

« Il était agité par un sombre cauchemar dans lequel il lui semblait s’entendre crier, comme en écho au fond d’un gouffre. Crier. Puis hurler. Mais personne ne l’entendait. Personne ne l’entendrait plus jamais. Ses seuls compagnons étaient désormais ces vers répugnants qui se tortillaient à côté de lui.
Son corps s’éveilla. Il grelottait.
Son esprit sorti des ténèbres. Il vacillait ».

Un étrange jeu en ligne, des meurtres horribles filmés pour des motion-captures, des personnages complexes… Entre réel et virtuel, entre énigmes scientifiques et policières… Christine Adamo nous embarque dans un récit passionnant. Grâce à une écriture fluide et recherchée, on navigue en toute compréhension entre videogame et histoire des langues oubliées de Mésopotamie. Accrochez-vous tout de même, particulièrement pour une séance d’autopsie un poil traumatisante !

WEB MORTEM de Christine Adamo

ERIC MARAVELIAS • LA FAUX SOYEUSE

« De retour à la bagnole, je me suis fait un shoot dans un état second, en épiant sans cesse la route dans le rétro, angoissé à l’idée que les poulets s’amènent. Ensuite, j’ai balancé mon matos dans l’herbe, par la fenêtre, j’ai baissé le dossier du siège et je me suis allongé. Je voulais passer la nuit, ici, au Panorama, près du ciel, comme pour conjurer l’emprise de l’enfer sur ma vie.
J’ai regardé la vallée de béton et de fer s’endormir, routes et maisons minuscules à mes pieds, les réverbères et les lumières artificielles s’allumant une à une, lueurs vacillantes et incertaines, pâles étoiles terrestres sous l’immensité d’un ciel sombre et moucheté d’astres épars, déjà morts depuis des millénaires. Comme moi.
Au sud, les longues pistes de l’aéroport d’Orly se découpaient dans le lointain, rectilignes et illuminées, et, sur la gauche, l’autoroute avait la forme d’un long reptile, disparaissant derrière les tours de Sainte-Geneviève et Savigny. Des feux mouvants, bicolores, se croisaient sans fin. Ils glissaient dans les ténèbres ou se ruaient dans la gueule de la ville, jaunes vers Paris et rouges en direction de la province. Une multitude d’insectes dérisoires et pressés, égarés dans le cœur glacé d’une mégalopole tentaculaire et vorace, elle-même infime bout du monde sous la voûte infinie des cieux. »

La faux soyeuse est le premier roman d’Éric Maravélias, paru à la Série Noire.
Déjà ce titre qui traduit à merveille poésie et percussion du récit d’un survivant où même les anges ont des sales gueules.
Et puis, au-delà de l’histoire, cette écriture tirée de la rue, de la ville, de ce quartier dans lequel Eckel, le narrateur, se reflète : « Mon quartier me ressemble, ou peut-être est-ce moi qui, peu à peu, par une espèce d’osmose, l’ai rejoint dans la décrépitude. Délabré, sali, abandonné à son triste sort, il couve en son sein des embryons de haine et de désespérance qui s’épanouissent sous l’influence de maîtresses perverses. La peur et l’indifférence. Mon paysage, fait de tours immenses et ternes, de cités en perdition, abrite une humanité malade et désenchantée, juxtaposition de détresses, sans fin, jusqu’à l’extrémité du ciel où l’horizon côtoie les fumées grises et les pigeons malades. »
Eckel a payé le prix fort pour rejoindre d’autres oiseaux et devenir ce « goéland »… « Silencieux et planant sous des nuages blancs, je monte et puis descends au gré des vœux du vent. Je suis majestueux. Libre et fier, j’observe les flots bleus juste au-dessous de moi. » … pour se retrouver au final, le nez collé au plancher : «Quand je reviens à moi, je suis allongé à plat ventre, une joue sur le sol poisseux et une odeur de gerbe monte immédiatement à mes narines. J’ai dû perdre conscience. Une petite flaque jaunâtre s’étale devant mon nez et je peux distinguer de minces filets rouges au milieu. »
Le récit est ainsi fait de va et viens entre « avant » et aujourd’hui, entre le décollage et les crash de plus en plus violents, entre la chaleur et la douceur de Carole et ce froid qui s’installe, « sournois qui pénètre mes os et s’insinue dans les moindres recoins de mon corps dévasté. » Et qui aura le dernier mot.

« La faux soyeuse » se lit d’une traite même si on sait que ça va mal finir.
On en sort avec une seule envie, celle de profiter de la vie.

La faux soyeuse – Eric Maravelias

LE SILENCE DES RAILS – FRANCK BALANDIER

Les premier textes que j’ai lu de Franck Balandier ont été ses poèmes publiés dans Le Zaporogue, la revue créée par Seb Doubinsky à laquelle je participais également. C’est à partir de là que j’ai découvert ses textes – poèmes, extraits de ses ouvrages à paraître, puis son roman, Le silence des rails – qui raconte l’histoire des « culs roses » sous l’occupation nazie – et qui m’a bouleversée. Écriture blanche, sèche, inventive ; témoignage brutal qui se laisse peu à peu contaminer par une poésie salvatrice. Pour survivre, Étienne, homosexuel déporté, « accélère son regard poétique sur les choses » et va survivre grâce à son imaginaire, à sa « collection d’éprouvettes remplies de fleurs mortes » et au « cri des coquelicots » dans sa main quand il les déchire… Un texte d’une force rare.

Le silence des railsFranck Balandier

FRANCK BALANDIER • GAZOLINE TANGO

« Quand les bruits demeuraient trop forts, malgré tous les stratagèmes qu’il s’inventait pour se les rendre moins pénibles, malgré le casque et tous les exercices quotidiens auxquels il s’astreignait pour apprendre à ne plus respirer ou à respirer moins longtemps, moins souvent, Benjamin partait se réfugier à l’église. Là, il pouvait ôter son casque, goûter l’odeur du silence. Il s’asseyait à l’harmonium et se mettait à jouer. Le père Germain lui avait appris deux ou trois accords. Il se débrouillait mieux à présent. Les sons étaient si beaux, si purs, ils s’élevaient d’une manière si élégante, si légère que ça faisait comme des flocons de neige qui seraient tombés à l’envers, montant vers le ciel, comme ceux pour de faux, de chez mémé Lucienne, qui tombaient pareil sur l’église enfermée dans la boule de verre quand on la retournait. Il pouvait passer des heures ici, à rêver. »

GAZOLINE TANGO, un titre qui me fait penser à une vieille mob orange qui tracerait en pétaradant entre les immeubles d’une banlieue d’avant, pleine de vie… Des destins enchevêtrés autour de Benjamin, gosse victime d’hyperacousie qui traverse la vie coiffé d’un casque anti-bruit.
Franck Balandier a créé une cité improbable, loufoque et des personnages qu’on n’a plus envie de quitter. On se réfugie avec Benjamin en apnée au fond d’une piscine, on se lance avec lui dans sa quête d’un silence parfait en écoutant la neige et en se planquant dans les églises. On suit un prêtre junk et alcoolo qui bricole une crèche vivante avec un lapin en guise de Jésus, on écoute les histoires de mémé Cannabis, on observe Noémie l’amoureuse sourde-muette qui « dessine des mots avec sa langue inutile »…
Embarqué par le style virtuose de Franck Balandier, on voyage de la cité des peintres jusqu’au bord d’un fleuve africain où le destin de Benjamin va s’accomplir…

« Nous attendions le rose du ciel. D’autres couleurs aussi. Le ciel d’Afrique porte en lui la beauté absolue de feux jamais éteints. Le ciel d’Afrique est un mensonge. Un baiser dérapé. Il abandonne à la nuit des choses infimes des voyageurs qui osent la traverser et que le vent se charge de disperser à l’aube. »

Gazoline TangoFranck Balandier

LUCE MARMION • LE MUR DANS LA PEAU

« En guise d’apéro, Alexis avait balancé un flacon de sang à moitié coagulé aux piranhas, instantanément électrisés par l’odeur du rouge. Comme d’habitude, il sélectionna les White Stripes, I fought piranhas. Juste pour le fun. Mus par un puissant réflexe pavlovien, les poissons se mirent à claquer des mandibules sur le rythme brutal des guitares. »

Merci Luce de m’avoir envoyé les « épreuves » de ton deuxième roman. Je l’ai dévoré ! L’intrigue est super bien ficelée et tu mènes l’enquête encore à toute berzingue, comme pour LE VOL DE LUCRÈCE. Et comme pour ton premier polar, j’ai apprécié ton style nerveux, moderne et tes « emprunts » à l’argot, style San Antonio ou Michel Audiard, qui rendent ton écriture vraiment originale.
L’histoire est passionnante, parfois terrifiante (la scène avec les Piranhas est gravée dans ma mémoire).
Moi qui me passionne pour le streetart, j’ai été servie. C’est un bonheur de retrouver les « bestioles » de Bault ou Codex Urbanus au hasard du récit et j’ai vraiment apprécié les Rhinocéros créés par Marie et les techniques et matériaux de collage que tu as inventé pour les installations d’Alexis. Jusqu’à cette œuvre de Bansky que Maga déniche à New York…
J’ai bien profité aussi du dépaysement avec cette virée du détective Magadur à Brooklin et Little Odessa. On s’y croirait :

« Il attrapa le F train rue Delancey, à deux cents mètres de l’appartement, traversa un Brooklyn éclaboussé de soleil et de printemps fleuri, descendit à la station West 8 Street, laissa l’aquarium de Brooklyn derrière lui et se dirigea vers les planches. Sur sa droite, Luna Park dont il aperçut les nacelles multicolores de la grande roue, vides en cette période de l’année, ballotées par le vent marin comme des épouvantails à goéland. Il consulta sa carte et prit vers Brighton Beach, la direction opposée. »

Beau travail ! J’ai vraiment été contente de retrouver Adrien Magadur et sa bande de détectives. J’espère qu’ils reviendront dans ton prochain polar. On s’attache…

LE MUR DANS LA PEAU – Luce Marmion – Corsaire Éditions

OLIVIER MARTINELLI SUPER HOMME DE MIEL

« Le soleil d’août cognait fort la carrosserie de ma vieille Renault Modus. J’avais mis un CD de Bigott. Ma fille chantonnait entre deux questions. Un pour cent. Putain ! Un pour cent de chance de voir mes os devenir poreux… se briser comme de la craie. Un pour cent de malchance, plutôt. Si cette saloperie vous attrapait, l’espérance de vie était de cinq ans, pas plus. Je repensais à tous ces manuscrits que je ne parvenais pas à faire publier… À toutes ces idées de romans que j’avais en tête… Et qui se perdraient à jamais. »

DEPUIS LE TEMPS que j’attendais le nouveau Martinelli je n’ai pas été déçue.
L’auteur de LA NUIT NE DURE PAS et d’UNE LÉGENDE s’empare ici des seules armes dont il dispose – un stylo, du papier, le clavier d’un ordi – pour régler son compte à la maladie, transformer en un doux « miel homme » l’effrayant myélome qui a bouleversé sa vie.
Même si la maladie s’est imposée dans ce nouveau livre, on n’est pas si loin du rock finalement… Le rêve, la désillusion, le temps fragile, l’espoir, l’humour… tout ce qui fait la force de ses précédents romans est là.
Super HOMME DE MIEL, Olivier a trouvé en lui la force d’affronter la peur. Avec son écriture percutante, précise, sans pathos, il cisèle les mots justes, ceux qui correspondent à sa volonté de vivre, de « déchirer le ciel avec les dents » pour s’ouvrir un nouvel horizon.
Entre douleur, clairvoyance et humour, on dévore ce texte qui raconte une seule année de sa vie, celle où cette « tuile » lui est tombée dessus, comme il dit, les rendez-vous médicaux qui « hachent le temps », les trajets en ambulance, les scanners… On devrait être dévasté mais non, l’écriture d’Olivier Martinelli, sa pudeur et son humour donnent simplement envie de vivre… et de lire.
Vivement le prochain Martinelli !

« Le ciel était si gris, si bas, ce jour-là qu’il se confondait avec la mer. Il avait dérobé la ligne d’horizon. J’ignorais si c’était un signe. Si tel était le cas, le message était si clair, si appuyé que je ne pouvais y adhérer. J’ai serré les dents. Mes yeux ont transpercé le pare-brise pour s’échapper de l’habitacle. J’ai pensé au roman que je venais de publier, à ceux dont la sortie était déjà programmée. J’ai pensé à toutes ses histoires que je devais raconter, cet héritage que je devais laisser à Liz et à Dan. Et j’ai clairement vu se déployer devant moi les nouvelles perspectives de la vie qui m’était annoncée.
Le fait de ne plus distinguer la ligne d’horizon ne signifiait pas qu’elle n’existait plus. J’étais prêt à déchirer le ciel de mes dents pour la faire apparaître, de nouveau. »
L’Homme de miel

PATRICK CARGNELUTTI • PEACE AND DEATH

« Y a-t-il eu un meurtre à la résidence pour personnes âgées Les Lilas ? C’est la première question que se pose la lieutenant Céleste Alvarez en se rendant sur les lieux aux aurores. Odette gît, fracassée, au bas d’un escalier auquel elle n’aurait jamais dû avoir accès. Comment a-t-elle pu arriver là en pleine nuit ? L’enquête s’annonce complexe et les témoignages plutôt flous : le personnel est surchargé de travail, quant aux autres pensionnaires, ils semblent tous un peu perdus… Dans sa chambre, Colette, elle, rêve de Rob, encore et encore : le ranch au Nevada, le Flower Power, San Francisco, la liberté, sa vie rocambolesque avec lui… Au cours de ses investigations, Alvarez va découvrir quelques incohérences qui, insidieusement, vont la conduire sur les traces d’une folle cavale entre le continent américain et la France… Avec l’amour pour feuille de route et la mort en filigrane… »

À MA DROITE, une histoire d’amour comme il y en a peu entre Colette et Rob, cambrioleurs attachants qui se rencontrent aux USA dans les années soixante-dix… Celles du Flower Power certes, mais aussi celles de la guerre du Vietnam qui oblige Rob et de nombreux autres jeunes américains à déserter.
À ma gauche, une lieutenante gauchiste, gourmande et artiste peintre prénommée Céleste qui mène bizarrement mais sûrement ses enquêtes à coups de « pensée magique ».
L’intrigue nous embarque dans une longue cavale, des USA à la France en passant par le Québec. Elle nait pendant la 2e guerre mondiale et se faufile ensuite, d’un chapitre à l’autre, des seventies à nos jours.
L’auteur, Patrick Cargnelutti, Boss du webzine Quatre Sans Quatre, a créé un univers insolite, des personnages complexes et originaux qu’on a du mal à quitter à la fin du polar. Au-delà de cette belle love story, sa lecture de la société, des enjeux politiques et des faits historiques rendent ce roman passionnant. Et comme dans les chroniques de #PsychoPat, tout se termine par une superbe playlist avec, évidemment, « L’Amérique » de Joe Dassin…

PEACE AND DEATH de Patrick Cargnelutti

 SONJA DELZONGLE • « BORÉAL »

« Les monstres existent vraiment, les fantômes aussi…
Ils vivent en nous et parfois ils gagnent… »
Stephen King

Une citation du King en exergue et une histoire qui pourrait très bien être écrite par lui…
Belle claque ! Lu d’un trait ce roman captivant, intelligent et dérangeant de Sonja Delzongle, en prise directe avec les catastrophes écologiques qui nous guettent. Encore une fois bluffée par la capacité de Sonja à nous tenir en haleine et par son écriture ciselée, souvent poétique, qui nous embarque au coeur du Groenland.
Ses nouveaux personnages, dont Luv Svendsen, scientifique spécialiste des phénomènes de morts de masse subites chez les animaux, sont comme toujours atypiques et super attachants.
Et puis, cerise sur le gâteau, j’ai retrouvé inuksuk* dans cette histoire… ou plutôt ses frères, monticules de pierres à forme humaine construits par les Inuits pour effrayer les caribous (mais pas seulement…).

*Sculpture de verre réalisée par Élodie Boivin
« Boréal » – Sonja Delzongle – Sueurs Froides – Éditions Denoël

TARA LENNART • « MACADAM BUTTERFLY »

Une couverture qui claque, qui promet… une déflagration de #saucisses. C’est une image, mais Tara tient parole: ça dépote !
Des textes courts, drôles parfois. La violence, la mort, le deuil rôdent. La tendresse aussi, heureusement, aux moments où on s’y attend le moins. On passe avec curiosité d’une histoire à l’autre. Autant de vies transpercées par les excès en tous genre, autant de personnages fragiles, souvent borderline, à travers lesquels Tara raconte notre société d’une plume désinvolte, fluide, rock’n roll, sincère.
Un texte de SF – 2053 – permet de souffler entre deux tirs de saucisses. Une jeune fille et une vieille dame papotent. La taty destroy, en perfecto, parle des années 2020, des joints, des virées en skate… cette époque trop cool où on se faisait encore insulter si on tenait une fille par la main. On se détend. On entrevoit un monde meilleur après la catastrophe…

« Macadam Butterfly » de Tara Lennart